Rencontre

Rencontre avec Claire Pinet et Christian du Tertre…

Lancé en 2020, le programme COOP’TER vise à soutenir le développement durable et à faciliter la transition écologique et sociale dans les territoires.
Pour y parvenir, il privilégie une approche peu usitée : la recherche-action.


Bio express

CHRISTIAN DU TERTRE, Économiste, professeur des universités, cofondateur et directeur scientifique du laboratoire ATEMIS, Christian du Tertre est spécialiste de l’économie du travail et des services.

CLAIRE PINET, Animatrice de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération au sein de l’ADEME, Claire Pinet pilote le programme COOP’TER depuis 2020.

En quoi consiste le programme COOP’TER et où trouve-t-il son origine ?
Claire Pinet

Le programme Territoires de services et de coopérations (COOP’TER) a été lancé en 2020 afin de soutenir la transition économique et écologique des territoires. Pour le coconstruire et le mettre en oeuvre, l’ADEME s’est naturellement tournée vers le laboratoire ATEMIS, qui avait déjà développé un cadre conceptuel sur l’économie de la fonctionnalité et de la coopération appliquée aux démarches territoriales. COOPT’ER présente une originalité : il est basé sur une approche de « recherche-action ». Il entend en effet soutenir des dynamiques territoriales sur différentes finalités de la vie (se nourrir, se soigner, habiter, se former, etc.), mais aussi transformer les cadres conceptuels et théoriques de ces pratiques. Pour mettre en oeuvre ce changement de fond, COOP’TER facilite le dialogue et des allers-retours constants entre la recherche et le terrain.

Quels sont les acteurs impliqués dans COOP’TER ?
Christian du Tertre

COOP’TER rassemble trois communautés : les porteurs de projets, les accompagnateurs et les chercheurs. Nous travaillons principalement avec des chercheurs ayant une approche de la transition écologique qui ne s’ajoute pas simplement au social et à l’économie, mais qui recompose le coeur même de la dynamique économique et sociale, notamment sur le plan territorial. Ils sont par ailleurs convaincus que les réponses aux questions que pose la transition doivent être élaborées avec les acteurs de terrain. C’est l’un de nos partis pris majeurs : contrairement à la recherche académique classique, nous pensons que l’expérience prime sur la théorie, que toute nouvelle théorie advient à partir de l’expérience réelle des acteurs.

Nous pensons que l’expérience prime sur la théorie.

Christian du Tertre, Spécialiste de l’économie du travail et des services

Quels sont les enjeux de ces travaux de recherche ?
CDT

Ces travaux ont deux dimensions complémentaires : ils ont une dimension opérationnelle qui questionne les voies possibles pour entrer dans la transition écologique, sociale et économique. C’est une aventure à part entière car, à cette heure, nous ne savons pas comment procéder pour y parvenir. Nous avons des hypothèses et des premières avancées, mais l’expérience ne les a pas encore entièrement confirmées. Dans le même temps, nous menons une recherche d’ordre théorique : les paradigmes qui sont aux fondements des sciences économiques, de la sociologie, de la psychologie, de l’ergonomie, etc. sont remis en cause par les nouveaux enjeux que pose la transition. Notre travail consiste à repérer des éléments de rupture paradigmatique vis-à-vis de l’histoire de la pensée dans chacune de ces disciplines. Il s’agit de faire émerger une théorie qui nous permettrait de comprendre le monde actuel et de développer des méthodologies d’action adaptées à la transition. Dans ce contexte, nous mettons en place des retours d’expérience (Rex) qui permettent aux chercheurs d’identifier à quels enjeux sont confrontés les pilotes des projets territoriaux et les accompagnateurs, et de se positionner pour y répondre.

L’innovation économique et territoriale que nous soutenons s’inscrit dans le temps long.

Claire Pinet, Pilote le programme COOP’TER depuis 2020

Pourquoi favoriser la proximité entre les chercheurs et les acteurs de terrain ?
CP

Pour répondre aux besoins réels des acteurs territoriaux et leur apporter un outillage qui les aidera à réussir la transition écologique et sociale, les chercheurs doivent être au plus près du terrain. Le dispositif permet un dialogue direct entre chercheurs et pilotes de projets. La diffusion des connaissances est également renforcée par la place centrale des accompagnateurs qui jouent un rôle d’intermédiation. Ils transmettent les concepts opérationnels et les méthodologies d’action élaborés avec les chercheurs aux acteurs des territoires et portent à la connaissance des chercheurs les problèmes rencontrés par les acteurs lors du déploiement territorial des projets. Seule la recherche-action permet cette proximité : si, a contrario, nous avions opté pour, d’un côté, des recherches académiques classiques et, de l’autre, des expérimentations, les pilotes n’auraient pas accédé aussi facilement à cette connaissance indispensable pour impulser l’innovation sociale de rupture qu’induit la démarche COOP’TER.

COOP’TER pratique un dialogue constant entre la recherche et le terrain.

Claire Pinet, Pilote le programme COOP’TER depuis 2020

Comment sont conduites les recherches-actions dans le programme COOP’TER ?
CP

La Direction exécutive Prospective et Recherche de l’ADEME avait commencé à ouvrir la porte à des projets de recherche-action et à concevoir les dispositifs permettant de les accompagner dans le cadre du programme CO3 (Coconstruction des connaissances). Le programme COOP’TER poursuit cette dynamique en encourageant la coconstruction des projets de recherche avec les acteurs des territoires. Les projets territoriaux sont soutenus par l’agence sur plusieurs années, ce qui laisse la possibilité aux chercheurs de s’inscrire dans un temps long. Après une première phase de coconstruction des hypothèses de recherche avec l’ensemble des parties prenantes dans le cadre de projets dits « en émergence », les chercheurs peuvent poursuivre par un projet de recherche plus mature.

Quels sont les projets de recherche en cours ?
CDT

Deux projets de recherche en émergence arrivent à terme. Le premier, RAD-EFC, est présenté dans l’article précédent. Les questions portent sur la façon de piloter des projets territoriaux dont la forme finale n’est pas connue d’avance, plus largement sur la rationalité de l’action dans le cadre d’une coopération multiacteurs. Pour le projet Kaïros, une équipe de l’Institut de psychodynamique du travail analyse les fondements de l’écoanxiété et la façon de prendre en charge les enjeux de santé, notamment de santé mentale, lorsque l’engagement des personnes est sollicité sur le long terme sans être toujours reconnu. Il s’agit en fait d’éviter que les acteurs ne s’épuisent et qu’ils trouvent dans leur travail l’occasion d’un épanouissement.

Quels sujets de recherche restent à aborder ?
CDT

De nombreux enjeux restent à aborder. Je pense par exemple à la question de l’innovation institutionnelle où il s’agira de comprendre comment ces nouvelles dynamiques territoriales font émerger de nouvelles règles et de nouvelles conventions, qui permettent de stabiliser et de légitimer les relations de coopération entre acteurs. Il s’agit aussi d’identifier les nouvelles formes d’organisation du travail comme les nouvelles formes de gouvernance qui tiennent compte du travail réel de ceux qui portent ces projets. Par ailleurs, nous avons besoin d’analyser les ressorts des autres courants de pensée qui prennent des options différentes de celles de COOP’TER , et d’envisager dans quelle mesure des coopérations sont possibles.

Quelles sont les perspectives pour la suite ?
CP

Nous comptons faire dialoguer COOP’TER avec d’autres réseaux d’acteurs qui portent la transition écologique, sociale et économique. Je pense notamment aux réseaux de collectivités, d’entreprises, de structures d’intermédiation, d’associations, de collectifs citoyens… L’un de nos objectifs est d’organiser les échanges entre ces acteurs et les chercheurs pour observer entre autres comment les propositions issues de la recherche-action résonnent dans ces réseaux.

CDT

Nous nous inscrivons donc résolument dans une logique d’ouverture auprès des acteurs et des chercheurs qui, pour certains, ont peu l’habitude de la recherche-intervention ou de la recherche-action. Nous mettons donc en place des dispositifs qui leur présentent cette orientation de travail et leur indiquent en quoi elle se distingue de la recherche habituelle. Enfin, nous veillons à trouver des chercheurs qui partagent avec nous la conviction que la transition écologique provoque des changements paradigmatiques qui nous invitent à renouveler certains fondements théoriques.